Projets en cours
Mes projets concernent l’imaginaire historique, en particulier dans le domaine musical, et de façon plus générale la vie culturelle au XIXe, les pratiques musicales populaires en particulier.
Je travaille depuis plusieurs années sur les archives des sociétés musicales du Nord Pas de Calais et sur leurs répertoires, en particulier sur la propagande chantée du Parti ouvrier de France.
Avec deux collègues, Nathalie Gauthard (Artois, ethnoscénologie) et Tiphaine Barthelemy (UPJV, anthropologie), je participe aussi au montage de projets portant sur les patrimoines culturels immatériels du Nord et de l'Artois.
Mes premières recherches sur les sociétés musicales du Nord et du Pas-de-Calais au XIXe siècle ont pris la forme d'un projet intitulé "Musicarchives", mené avec le CRLL et les archives départementales du Pas-de-Calais dans le cadre d'un GIS (groupement d'intérêts scientifiques). Il s'agit de la réponse à un appel à projet lancé par le ministère de la Culture et de la Communication au printemps 2014, "Pratiques interculturelles dans les processus de patrimonialisation".
Le projet visait à révéler et valoriser les fonds contenus dans les archives et les médiathèques de la région Nord - Pas-de-Calais relatifs aux musiques des sociétés populaires des XIXe et XXe siècles, en articulant la recherche historique, la documentation contextuelle et la mise à disposition sous forme de base de données et de ressources en ligne, à disposition des acteurs contemporains des musiques populaires. Il devait permettre de constituer un corpus scientifique ouvert et en open access qui pourrait servir de point d’appui pour des collaborations nationales et internationales.
La base de données de chansons dialectales est restée en cours de construction ; une partie des enregistrements sont disponibles sur le site de la médiathèque Lévy de Lille,
http://www.bm-lille.fr/
Les notices accompagnant la base ont été pour partie versées sur le site de l'auditorium Nord Pas de Calais du CRLL http://auditorium-npdc.fr/
Une autre partie est disponible sur le blog de Christian Declerck, archivesdufolk59-62.blogspot.com
Dans le cadre de ce projet :
J'ai réalisé quelques enregistrements à la radio libre PFM
www.radiopfm.com/reportages-chroniques/reportages-entretiens/article/musicarchives-chansons-populaires-en-nord-pas-de-calais
J'ai présenté une conférence chantée le samedi 21 mai 2016 à la médiathèque d'Arras (15H-17H)
J'ai organisé une manifestation scientifique d'une part (journée d'étude ou colloque à l'Université d'Artois le mardi 28 juin 2016), spectacle d'autre part, en collaboration avec les partenaires associatifs (Didouda)
Les actes de cette journée ont été publiés aux éditions de l'OPCI (2019).
www.editions-harmattan.fr/livre-etudier_interpreter_valoriser_les_chansons_anciennes_patrimoine_culturel_immateriel-9782343189253-64834.html
Depuis, dans le sillage du projet Musicarchives, j'ai entrepris une recherche sur la propagande en chansons du Parti Ouvrier de France. Ce parti a su s'appuyer sur le goût du peuple pour la chanson, en créant des formations musicales et en composant des chansons de propagande, dont il reste quelques traces dans les archives du Nord et dans les recueils de chansons de la BNF et de la médiathèque Levy de Lille Cela constitue une véritable originalité à l'échelle nationale, et permet de croiser histoire politique et histoire culturelle.
J'a
Séminaire transdisciplinaire : « Patrimoines : mises en récit, tourisme, appropriations »
Co-organisé par Tiphaine Barthelemy, PR Anthropologie / sociologie CURAPP-EES (Picardie) Nathalie Gauthard, PR Arts du spectacle / Ethnoscénologie, Textes et cultures - Praxis et esthétique des arts (Artois) Sophie-Anne Leterrier, PR Histoire contemporaine, CRHES (Artois), Marie-Clémence Régnier, MCF Littérature, Textes et Cultures - TransLittéraire (Artois)
L'idée de ce séminaire est d'interroger ce qui a trait à la mise en récit et en légende, au développement d'un imaginaire du territoire dans les médiations et les offres touristiques, à la constitution de nouveaux objets et de "communautés patrimoniales".
Pluridisciplinaire, ce séminaire se propose de croiser diverses disciplines comme la littérature, l'anthropologie, l’ethnoscénologie, l'histoire, la sociologie, les arts.
Appliqué, il permettra le dialogue entre chercheurs, interprètes et médiateurs du patrimoine.
Multisite, il mettra en œuvre une collaboration ouverte entre l'Université d'Artois et l'Université de Picardie, officialisée par un accord récent.
En 2020-2021 trois journées d'étude ont eu lieu :
JE 1 : Arts de la scène et mémoire régionale dans les Hauts-de-France :
mises en récit et mises en scène d’un patrimoine vivant
Université d’Artois – Campus d’Arras
Coordination Nathalie Gauthard
JE 2 : Du Monument au Patrimoine culturel immatériel : quelles communautés patrimoniales dans les Hauts de France
(Coordination Tiphaine Barthelemy)
Jeudi 22 Avril 2021 / 9h30-16h00 via ZOOM
03_synopsis_20202021.pdf
JE 3 : La littérature comme « invitation au voyage »
Littérature et tourisme dans les Hauts-de-France : des parcours touristiques au roman policier « patrimonial »
Organisation : M.-C. Régnier (Textes et Cultures, Arras)
En 2021-2022 une autre journées d'étude a eu lieu, organisée par mes soins et consacrée aux métamorphoses de la mémoire de la Commune, le 23 février 2022.
programme_je_commune.pdf
J'y ai présenté l'évolution de la mémoire discographique de la Commune entre 1971 et 1921
2023_article_commune.odt
Notre réponse à l'appel à projet "Anamorphose"
Intitulé du projet :
De l’entre soi au spectacle : le patrimoine maritime de deux villes portuaires à travers leurs fêtes (Boulogne et Dunkerque aux XXe et XXIe siècles)
Si les villes de Boulogne et de Dunkerque se sont toutes deux développées, depuis le XVIIIe siècle, à partir de la pêche, leurs activités portuaires ont donné lieu, au cours des siècles à des processus de patrimonialisation différents, perceptibles aujourd’hui à travers leurs manifestations festives. À la visibilité et à la forte attractivité touristique du Carnaval de Dunkerque, font écho, à Boulogne-sur-Mer, des manifestations plus discrètes, qui, organisées par les populations locales, notamment les pêcheurs, contribuent à perpétuer un entre-soi encore peu médiatisé. Elles sont également peu mises en valeur par une ville dont l’attractivité touristique repose avant tout sur le centre Nausicaa « Conservatoire de la biodiversité océanique » où la diversité et la variété des espèces aquatiques ne dit rien des communautés locales. La mémoire de Dunkerque quant à elle, orchestrée par la ville qui organise le Carnaval, semble avoir tout bonnement oublié la pêche – notamment la pêche à la morue pratiquée au XIXe siècle- au profit des corsaires (Jean Bart) et de fêtes largement publicisées.
À Boulogne donc, des fêtes relativement modestes, peu patrimonialisées et un patrimoine immatériel maritime largement doté d’invisibilité ; à Dunkerque au contraire un carnaval médiatisé qui attire un public nombreux venu de l’extérieur (des dizaines de milliers de « carnavaleux »). Comment rendre compte de ces situations contrastées ? Quelles mémoires véhiculent ces manifestations festives et quels en sont les porteurs ? Quels sont les enjeux politiques et économiques de telles patrimonialisations et quels en sont les acteurs ? C’est à cet ensemble de questions que tente de répondre le présent projet qui, à partir d’enquêtes ethnographiques et de dépouillement d’archives, se centrera plus particulièrement sur trois objets relatifs aux patrimoines maritimes et portuaires des deux villes.
Les chansons de carnaval. Sur les côtes de la mer du Nord, le carnaval était l’occasion majeure de chanter des chansons, élaborées toute l’année par les sociétés chantantes qui réunissaient des hommes du peuple, et de vendre les petits formats portant les paroles de ces chansons (en patois). Ces corpus apportent des témoignages uniques de la culture populaire locale. Nous nous proposons de travailler sur les chansons des deux villes choisies de façon comparative, pour comprendre les mémoires et les évolutions dont elles témoignent.
Les pratiques festives et carnavalesques, abordées comme des « faits sociaux totaux », examinées, pensées et observées dans leur dimension esthétique et artistique, économique, politique et sociale. Nous interrogerons les tensions entre les traditions festives et la fête touristique comme facteur de développement territorial. Les fêtes sont aujourd’hui cataloguées dans des parcours touristiques, elles deviennent une étape obligatoire du circuit grâce à leur caractère participatif. Expériences communes et partagées et « mises en fiction du monde » (Augé, 1997), de nouveaux types de manifestions festives ou de nouvelles esthétiques soulignent la dynamique des traditions et leur réinvention permanente.
Les communautés patrimoniales : cliques, bandes, associations, familles, élus locaux, universités, marins-pêcheurs, commerçants, industriels peuvent à des degrés divers concourir à la patrimonialisation des activités maritimes et aux manifestations festives qui en sont la traduction. On s’attachera ici à comprendre les profils des acteurs ainsi que les relations qu’ils entretiennent entre eux dans la perspective ouverte par la convention sur le PCI de l’UNESCO qui valorise désormais les « communautés, groupes ou individus » porteurs d’un patrimoine censé émerger « d’en bas » et à cerner la diversité des communautés patrimoniales à partir des deux cas étudiés.
Récusant la notion d’authenticité (Lenclud, Hobsbawn) – toujours tentante pour opposer un carnaval fortement institutionnalisé à des fêtes qui le sont peu – cette recherche entend se centrer sur la genèse, les formes et les fonctions des processus de patrimonialisation (ou de non-patrimonialisation) étudiés et à en comprendre les multiples enjeux : économiques, symboliques et politiques. Elle s’appuiera sur les acquis des nombreux travaux menés sur le patrimoine et notamment sur le PCI - plus précisément sur trois ensembles de recherches :
Les critical heritage studies1, pour lesquelles le patrimoine est résolument analysé comme une construction, à même de transformer la valeur de biens dont l’usage change. Quelles sont les conditions qui en rendent possibles le développement et la matérialisation ? Des travaux récents sur les patrimoines populaires ont évoqué ceux-ci en termes de traces souvent évanescentes par opposition à des patrimoines plus prestigieux. C’est dans cette perspective que l’on interrogera la visibilité ou l’invisibilité des fêtes étudiées, leur degré de patrimonialisation et leur attractivité à l’aune des statuts symboliques et sociaux de ceux qui en sont porteurs.
Les travaux en ethnoscénologie sur le Carnaval et la fête.
Des travaux d’historiens, littéraires et musicologues sur les patrimoines des musiques populaires et la chanson comme mémoire des vies ouvrières
Notre méthodologie est pluridisciplinaire articulant ethnographie, histoire et analyse de documents et d’archives. Elle s’adosse à une pratique ethnographique multisite à partir de l’étude de productions artistiques et sociales dont il s’agira d’analyser, l’émergence, les activités, les parcours, tout autant que les réseaux d’acteurs et les discours. Il s’agira de circonscrire un objet de recherche qui peut parfois paraître insaisissable (son caractère vivant) et qui est sans cesse renouvelé (le côté éphémère de la représentation ou de la performance), même dans un cadre codifié. Cela permettra de saisir dans leur spécificité anthropologique et historique des pratiques festives et musicales et de contribuer à l’intelligibilité d’un genre ou d’une forme à partir de l’observation des pratiques et des discours qui le concernent. Des recherches sur les sources primaires seront menées notamment pour constituer un corpus de chansons urbaines d’actualités avec analyse de leur mise en musique, diffusion, conservation, réédition, enregistrement. Une analyse du contenu sémantique, de la structure et de l'instrumentation sera effectuée, complément d'un travail sur les usages (chansons sur timbre/reprise d’airs signifiants), leur transmission et leurs métamorphoses, les reprises et usages actuels. L'analyse de la production, de la réception et des usages mémoriels actuels ouvrira une réflexion sur la place du local. En aval, on s’intéressera à la réception de ces récits par le public au moyen, si possible, d’études de réception.
Nous aurons également recours à l’anthropologie visuelle avec la production de photographies et films ethnographiques des fêtes observées.
Bibliographie :
Fêtes, mascarades, carnavals. Circulations, transformations et contemporanéité, (dir. Nathalie Gauthard), Ed. L’Entretemps, coll. Les anthropopages, 2014.
Actes du colloque international Méthodologie(s) de la recherche sur les pratiques festives et carnavalesques qui a eu lieu en avril 2019 au Centre Français du Patrimoine Culturel Immatériel à Vitré, à paraître sous le titre : Enquêter en Carnaval. Méthodologies créatives autour d’un plaisir partagé (dir. N. Gauthard, B. Mauffret, M. Salzbrunn).
« Dragons, géants et autres merveilles : dynamiser la mémoire patrimoniale en arts vivants, pistes et réflexions. (dir. N. Gauthard), Revue L’Ethnographie. Créations, Pratiques, Publics – Nouvelle formule en ligne (MSH PN USR 3258 – ISSN 2534-5893), oct. 2022.
Sur les géants : Jean-Pierre Ducastel, « Les géants du Nord de la France », Le patrimoine du département du Nord – Commission historique du Nord, Bulletin Tome 59, 2020, Histoire/archéologie, Lille, Archives départementales du Nord, 2020, p. 283-324.
La Poésie délivrée, dir. Stéphane Hirschi, Corinne Legoy, Serge Linarès, Alexandra Saemmer et Alain Vaillant, Presses universitaires de Paris-Nanterre, 2017.
Étudier, interpréter, valoriser les chansons anciennes, Sophie-Anne Leterrier dir., ouvrage réalisé par l’OPCI, Paris, L’Harmattan, 2019.
Patrimoines et patrimonialisation, les inventions du capital historique (XIXe-XXIe siècles), Anne-Claude-Ambroise-Rendu et Stéphane Olivesi dir., Grenoble, PUG, 2021.
Sur le patrimoine des dockers de Dunkerque : Tiphaine Barthelemy, « La patrimonialisation ou la vie. Une enquête auprès des dockers en 1989 », in Tiphaine Barthelemy, Philippe Combessie, Laurent-Sébastien Fournier et Anne Monjaret (dir.) : Ethnographies plurielles. Déclinaison selon les disciplines, Paris, ed. du CTHS, 2015 : 211-230.
Notre réponse à l'appel à projet Stimule :
TITRE DU PROJET : Entre savants et populaires : les patrimoines invisibles des Hauts de France – Créations, réappropriations, synergies.
2. Etat de l’art
Riches en monuments historiques connus et visités - cathédrales, beffrois, musées - les territoires des Hauts-de-France recèlent aussi des patrimoines matériels et immatériels qui peinent à faire valoir leur légitimité. Le patrimoine mémoriel des deux dernières guerres mondiales a certes été une priorité des politiques locales et nationales, qui s’est concrétisée lors des célébrations du centenaire de la Grande Guerre, mais d’autres lieux et objets chargés de mémoire semblent voués à l’oubli. Dans cette région récemment désindustrialisée, d’anciennes usines, des cités ouvrières, des bâtis ruraux par exemple sont laissés à l’abandon, au grand dam d’associations qui tentent de les « sauver » tandis que des savoir-faire, des gestes, des jeux ou des pratiques se perpétuent tant bien que mal dans un environnement d’indifférence - quand ils ne sont pas tout bonnement perçus comme des symboles d’un passé de misère et d’arriération. C’est ce patrimoine invisible, car non advenu ou peu reconnu, qui est au cœur de ce projet. À partir d’une enquête ethnographique et archivistique, il s’agit d’une part d’en mettre à jour certains éléments et leurs évolutions récentes (de l’oubli à la réinvention) et d’autre part de comprendre les raisons d’une invisibilité qui peuvent tenir tant aux détenteurs d’objets et de pratiques qu’ils ne souhaitent pas patrimonialiser qu’à une absence de consensus sur ce qui serait digne de l’être ainsi à de multiples autres facteurs qu’il conviendra d’explorer.
Cette question de l’invisibilité, qui se pose particulièrement dans le cas du patrimoine culturel immatériel (PCI), semble spécifique des Hauts-de-France par rapport à l’ensemble du territoire national1 — voire d’autres pays européens, caractérisés par ce que Daniel Fabre qualifiait de « tournant patrimonial » (Fabre, 2013 ; Hottin et Voisenat 2016). Il entendait par là tout autant la transformation d’une expertise désormais dévolue aux «communautés patrimoniales » plus qu’aux institutions de l’État que la requalification en patrimoine d’objets et pratiques culturelles naguère entachées d’illégitimité au regard de la culture savante. Il constatait le développement du goût pour une histoire et un patrimoine «à soi" (Bensa et Fabre 2001), valorisant les émotions, l’expérience personnelle et les ancrages locaux plus que les personnages illustres, les cathédrales et autres marqueurs d’un « génie » national. Or, si ces évolutions caractérisent bien certaines régions, comme la Bretagne ou le Sud-Ouest, où l’émergence du PCI est surtout le fait de nouvelles communautés patrimoniales (Adell-Gombert 2008, Léonard 2019), tel ne semble pas être le cas du nord de la France où le Monument continue de prévaloir sur toute autre forme de patrimoine et où, si l’on observe, comme ailleurs, une croissance exponentielle des associations patrimoniales (Glevarec et Saez, 2002 ; Istasse, 2017), celles-ci restent généralement peu entendues — voire parfois suspectes aux yeux de certains professionnels du patrimoine (Barthelemy et Istasse, à paraître). Le PCI est sans doute reconnu dans le cas de quelques fêtes et carnavals souvent médiatisés, mais, à côté d’eux, d’autres manifestations se perpétuent à l’abri des regards, au sein de communautés locales où se transmettent aussi un riche patrimoine de chansons et d’histoires que la modernité semble vouer à un oubli certain.
III- LE CONTENU DU PROJET
1. Les verrous scientifiques
On peut dès lors s’interroger sur les inflexions et les formes prises par ce « tournant patrimonial » sur les différents territoires qui composent la région : comment cohabitent ou s’opposent par exemple, cathédrales et mémoires ouvrières, savoir-faire artisanaux et musées d’histoire, fête du Hareng et Carnaval reconnu, professionnels du patrimoine et militants associatifs ? Est-il des patrimoines potentiels qui ne font pas consensus, des communautés minoritaires qui ne parviendraient pas à faire entendre leur voix, des choix politiques en faveur de certaines catégories de patrimoine ? L’une des hypothèses que nous chercherons à tester ici pour rendre compte de la difficile émergence des nouveaux patrimoines — et notamment du PCI — dans les Hauts-de-France est celle de la persistance d’oppositions entre cultures savantes et populaires (Muchembled, 1978 ; Ginsburg 1980), légitimes ou illégitimes (Bourdieu 1979), hégémoniques et subalternes (Gramsci, 1996); oppositions qui, après avoir nourri les sciences sociales dans les années 1970/80 (Grignon et Passeron, 1989 ; Hoggart, 1970 ; Revel, 1986), semblent révolues aujourd’hui, du fait notamment de l’individuation des sociétés contemporaines et de l’éclectisme, désormais légitime, des pratiques et des goûts culturels (Lahire, 2004). Mais n’est-il pas des lieux où les deux termes de l’opposition restent bien établis et renvoient à des hiérarchies solidement instituées ? Est-il fortuit que ces lieux correspondent précisément à des territoires précocement intégrés à l’État-nation1, dont l’identité locale n’a guère pu se développer indépendamment de celle de l’État central ?
Autant de questions qui incitent à porter attention à l’émergence de nouveaux objets (matériels et immatériels) et de nouveaux acteurs dans le champ du patrimoine. Il ne s’agit pas en effet de considérer celui-ci comme un objet donné d’avance, qui se serait transmis inchangé de génération en génération, mais comme une construction, une création parfois, une réappropriation d’objets et de pratiques auxquels sont conférés des valeurs et des usages nouveaux. Ainsi, certaines patrimonialisations « enrichissent » les territoires et concourent à leur développement par des labellisations au principe de leur attractivité touristique (Boltanski et Esquerré, 2017). Elles invitent à mettre l’accent sur la dimension créative des « fabriques » du patrimoine, et interrogent leurs composantes mémorielle et identitaire. En travaillant sur les transmissions et les réinventions, ce projet cherchera à comprendre comment le rapport au patrimoine épouse le présent pour réorienter et réinterpréter le passé, notamment l’histoire locale.
Le projet s'intéressera spécifiquement aux réappropriations individuelles et collectives du passé, aux nouvelles manières d’incorporer le patrimoine dans des techniques du corps, de la voix, de la mémoire, qui articulent étroitement le sensible à l’intelligible. Outre qu’elles permettent l’identification de nouveaux corpus (de chansons, de festivals, de figures héroïques, de personnages messianiques, de sites), elles constituent aussi un instrument puissant d’expansion et de promotion des territoires et, à ce titre, ne sont pas dénuées d’enjeux politiques. C’est cet écheveau de modes d’expression, d’acteurs, d’imaginaires… et d’intérêts qu’il s’agira de démêler ici, pour comprendre la manière dont ils se rattachent à des localités au point d’en constituer l’emblème. Il est d’autant plus intéressant de mener cette recherche à l’échelle des Hauts-de-France que la région a été plutôt négligée par les enquêtes patrimoniales, et cela de longue date.
Ces constats, ces questions et ces hypothèses serviront de toile de fond à un projet qui propose de s’interroger concrètement sur les processus de patrimonialisation dans les Hauts-de-France, sur leur différent degré d’aboutissement — ou non-aboutissement — à partir de trois types de patrimoines souvent liés les uns aux autres : le patrimoine industriel, les chansons et les manifestations festives.
A) Le patrimoine industriel :
La Région des Hauts-de-France a été pendant plus d'un siècle un moteur de l'économie française, et a su rayonner dans l'Europe entière grâce à une industrie très forte : l'extraction minière dans le Bassin du Pas-de-Calais (62), l'industrie sidérurgique dans la vallée de la Bresle (80) comme à Fourmies (59), le textile à Roubaix (laine) et à Calais (dentelle), mais aussi dans la Somme, l'exploitation sucrière et la verrerie dans l'Aisne (02). Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, cette industrie a périclité, entraînant la multiplication des friches industrielles et suscitant de graves problèmes de chômage et de reconversion. Quelle que soit la détermination de certaines associations, souvent d'anciens travailleurs, la valorisation de cet héritage se heurte à la fois à des problèmes juridiques (les sites et les bâtiments sont souvent la propriété d'entreprises privées), à des choix économiques et politiques, à des questions d'images (Tornatore, 2004). Lorsque cet héritage est conservé, c'est souvent le bâti seul qui est sauvé et mis en valeur à l'occasion d'une reconversion. C'est le cas pour la sucrerie de Francières (60), créée en 1829 et fermée en 1969, menacée de destruction, inscrite aux Monuments historiques en 1999, devenue en 2012 un centre d’interprétation dédié à l’industrie sucrière. L’étude de trois anciens sites industriels est plus spécifiquement envisagée dans le cadre de ce travail :
Le 9-9bis à Oignies, qui juxtapose pour sa part lieu patrimonial, salle de spectacle et lieux de production artistique. La mémoire orale et les archives (imprimées et photographiques) des ouvriers sont quant à elles peu valorisée, en dépit du souhait de certaines associations, dont la détermination a contribué pourtant à sauver le site. Les acteurs de la patrimonialisation oscillent entre la volonté de faire vivre la mémoire de modes de vie et de pratiques anciennes et celle de « tourner la page », de « passer à autre chose ». Une recherche participative pourrait être envisagée avec l'association Acccusto Seci (Association pour la création d’un centre scientifique et technique d’Oignies sur les sécurités industrielles) qui s’est mobilisée à la fermeture du site jusqu’à ce qu'il soit protégé, grâce à son classement aux Monuments historiques en 1992 puis en 1994.
Le site de Saint Gobain, dans l’Aisne, berceau historique de l’entreprise du même nom, dont l’usine a fermé en 1996. Y subsistent aujourd’hui de petites entreprises locales à côté d’un grand nombre d’associations qui valorisent toutefois plus les bâtiments de la Manufacture Royale (inscrits au MH en 1995), l’histoire médiévale ou la reconstitution historique que les productions ouvrières, pourtant visibles dans nombre de maisons et de jardins des environs.
La base 11/19 de Loos-en-Gohelle avec l’implantation et les activités de Culture Commune, labellisée Scène nationale pour le bassin minier. Culture Commune fonde son activité sur la création scénique et le décloisonnement des pratiques artistiques en direction de la population locale, spécialisée dans une approche sociale et patrimoniale du développement culturel, également outil régional pour un accès à la culture pour tous. Une de ses missions est de faire vivre la mémoire ouvrière via des activités en destination des populations locales.
A travers ces exemples, on s’intéressera au patrimoine industriel, non pas tant sous l’angle de la reconversion des bâtiments que sur les formes de mémoire et de valorisation alternatives, souvent développées dans un cadre associatif local.
B) Pratiques festives, géants et processions carnavalesques
Les fêtes locales et leur inégale médiatisation offrent une entrée privilégiée sur les thématiques que nous explorons. Le cas du carnaval de Dunkerque est un exemple de prise en charge par les institutions publiques d'une manifestation historiquement populaire, et qui le reste d'ailleurs. À l'opposé, dans certaines villes comme Boulogne, nombre de fêtes anciennes peinent à attirer au-delà des communautés locales. Ces processus incitent à regarder de plus près ce qui se joue dans les modalités de valorisation de patrimoines culturels immatériels liés aux métiers et aux pratiques populaires. Les fêtes telles qu’elles seront abordées dans cette recherche sont considérées comme des « faits sociaux totaux ». Elles seront examinées, pensées et observées dans leur dimension esthétique et artistique, économique, politique et sociale afin de renouveler la pensée sur des questions d’esthétique et de savoir-faire, sur la circulation des formes artistiques - tant géographiques que symboliques - et sur les processus de construction patrimoniale contemporaine. La fête, dans sa dimension marchande et produit d’une consommation de masse a toujours généré une économie non négligeable. Après avoir été répertoriée sur des listes locales, nationales ou internationales comme « patrimoine culturel immatériel », elle est aujourd’hui cataloguée dans des parcours touristiques, étape obligatoire du circuit réussi grâce à son caractère participatif. La fête est une pratique, une expérience commune et partagée même s’il s’agit parfois d’« une mise en fiction du monde ( Augé 1997). Des formes créatives et un souffle de renouveau ont fait éclore de nouveaux types de manifestations festives ainsi que de nouvelles esthétiques soulignant ainsi la perspective dynamique des traditions et leur invention permanente.
Trois terrains ont ici été identifiés qui concernent les patrimoines maritimes avec une étude comparée de la fête du hareng à Boulogne et Calais et des fêtes de pêcheurs à Dunkerque (dont fait partie le Carnaval). La fête de la Sainte-Barbe à Culture Commune peut également faire l’objet d’une enquête ethnographique.
C- L'usage des chansons
En ce qui concerne le patrimoine des chansons, la distinction des objets et des acteurs reste très prégnante. Sur le site du Hall de la chanson, par exemple, on entend par « chanson » essentiellement les créations d'auteurs-compositeurs-interprètes, faisant l'objet d'enregistrements, en langue française, depuis les années 1950. Il n'y est question de chansons en langues régionales que de façon très subsidiaire, dans l'une des « ressources » mises à disposition sur le site institutionnel, intitulée « Langues de France en chansons ». Il en va de même des recherches développées par Stéphane Hirschi (2008 ; 2016) et par ses collègues dans le cadre de la « cantologie ».
Alors qu'en Occitanie ou en Bretagne ces répertoires ont été largement collectés, transcrits, enregistrés, recréés, ce n'est pas le cas dans les Hauts-de-France, ce qui résulte à la fois du statut des langues locales et d'évolutions sociologiques et culturelles, qu'il ne peut être question de détailler ici. Prises en tenaille entre les chansons « traditionnelles » et les chansons « artistiques », les chansons populaires qui naissaient dans les estaminets et chroniquaient la vie locale sont méconnues, oubliées. Il y a tout un travail à faire pour les retrouver, et plus encore pour les faire vivre, ce qui suppose de les interpréter, de les enregistrer, de les diffuser.
Notre projet s'intéresse particulièrement aux chansons nées dans la région au XIXe et au XXe siècle, qui portent la mémoire de communautés, de pratiques sociales, et à leurs métamorphoses. La grande majorité de ces chansons ne vivent que quelques saisons, mais certaines ont été recueillies dans des collections, privées ou publiques (dans les médiathèques, les centres d'archives). Quelques-unes sont transmises et encore chantées : lesquelles, pourquoi, comment ? Quelle part joue la transmission orale dans la famille, dans la communauté, à l'école ? Que signifient aujourd'hui ces chansons pour ceux qui les connaissent, qui les interprètent ? Dans quelle mesure font-elles partie de leur patrimoine ? C'est cela qu'il s'agit d'explorer, à partir de nos objets et de nos terrains de recherche, en constituant de petits corpus ad hoc.
IV- VALORISATION ET PROMOTION DU PROJET
Les actions envisagées pour valoriser les résultats concernent au premier chef la communauté scientifique, mais aussi les structures et les habitants avec lesquels nous serons amenés à travailler et qui contribueront au recueil des données.
Les principales sont :
Restitution par le biais de trois journées d’études participatives avec supports audiovisuels (photographies + films ethnographiques réalisés sur place), au fil du projet.
La première aura lieu à Fourmies les 24 novembre 2023.
Organisation d’une exposition audiovisuelle : photographies et films ethnographiques sur les fêtes sélectionnées.
Constitution d’une base de données collaborative (chansons)
L'organisation d’un colloque international sur les patrimoines invisibles (avec une exposition de photos)
La rédaction de deux articles collectifs (L’Ethnographie et Ethnologie française).
Porté par le laboratoire Textes et Cultures, UR4028, en partenariat avec le CREHS de l’université d’Artois et le CURAPP-ESS de l’université de Picardie Jules Verne, ce projet vise à étudier le patrimoine invisible des Hauts-de-France à partir d’études de cas. Il s’intéressera tout particulièrement à des lieux marqués par la désindustrialisation, dont la patrimonialisation n’est pas encore ou incomplètement advenue ainsi qu’au patrimoine culturel immatériel (PCI), qui compte encore peu d’éléments dans une région pourtant riche de savoir-faire, de gestes et de pratiques chargés de mémoire, mais qui semblent voués à l’oubli, en dehors de cercles associatifs ou de groupes informels. Deux séries d’éléments seront à cet égard objets d’une enquête ethnographique articulant dépouillement d’archives et observations de terrain : les chansons locales, dont l’abondant répertoire est très mal connu ainsi que les fêtes, géants et Carnaval, dont certains sont l’objet d’une revitalisation récente, tandis que d’autres se perpétuent dans un entre-soi local et restent ignorées du grand public. Outre l’établissement de bases de données, ce travail s’attachera à comprendre les raisons de l’invisibilité de certains patrimoines et plus encore la manière dont ils pourraient contribuer à la mise en valeur des territoires de la région.
Séminaire transdisciplinaire : « Patrimoines : mises en récit, tourisme, appropriations »
Co-organisé par Tiphaine Barthelemy, PR Anthropologie / sociologie CURAPP-EES (Picardie) Nathalie Gauthard, PR Arts du spectacle / Ethnoscénologie, Textes et cultures - Praxis et esthétique des arts (Artois) Sophie-Anne Leterrier, PR Histoire contemporaine, CRHES (Artois), Marie-Clémence Régnier, MCF Littérature, Textes et Cultures - TransLittéraire (Artois)
L'idée de ce séminaire est d'interroger ce qui a trait à la mise en récit et en légende, au développement d'un imaginaire du territoire dans les médiations et les offres touristiques, à la constitution de nouveaux objets et de "communautés patrimoniales".
Pluridisciplinaire, ce séminaire se propose de croiser diverses disciplines comme la littérature, l'anthropologie, l’ethnoscénologie, l'histoire, la sociologie, les arts.
Appliqué, il permettra le dialogue entre chercheurs, interprètes et médiateurs du patrimoine.
Multisite, il mettra en œuvre une collaboration ouverte entre l'Université d'Artois et l'Université de Picardie, officialisée par un accord récent.
En 2020-2021 trois journées d'étude ont eu lieu :
JE 1 : Arts de la scène et mémoire régionale dans les Hauts-de-France :
mises en récit et mises en scène d’un patrimoine vivant
Université d’Artois – Campus d’Arras
Coordination Nathalie Gauthard
JE 2 : Du Monument au Patrimoine culturel immatériel : quelles communautés patrimoniales dans les Hauts de France
(Coordination Tiphaine Barthelemy)
Jeudi 22 Avril 2021 / 9h30-16h00 via ZOOM
03_synopsis_20202021.pdf
JE 3 : La littérature comme « invitation au voyage »
Littérature et tourisme dans les Hauts-de-France : des parcours touristiques au roman policier « patrimonial »
Organisation : M.-C. Régnier (Textes et Cultures, Arras)
En 2021-2022 une autre journées d'étude a eu lieu, organisée par mes soins et consacrée aux métamorphoses de la mémoire de la Commune, le 23 février 2022.
programme_je_commune.pdf
J'y ai présenté l'évolution de la mémoire discographique de la Commune entre 1971 et 1921
2023_article_commune.odt
Notre réponse à l'appel à projet "Anamorphose"
Intitulé du projet :
De l’entre soi au spectacle : le patrimoine maritime de deux villes portuaires à travers leurs fêtes (Boulogne et Dunkerque aux XXe et XXIe siècles)
Si les villes de Boulogne et de Dunkerque se sont toutes deux développées, depuis le XVIIIe siècle, à partir de la pêche, leurs activités portuaires ont donné lieu, au cours des siècles à des processus de patrimonialisation différents, perceptibles aujourd’hui à travers leurs manifestations festives. À la visibilité et à la forte attractivité touristique du Carnaval de Dunkerque, font écho, à Boulogne-sur-Mer, des manifestations plus discrètes, qui, organisées par les populations locales, notamment les pêcheurs, contribuent à perpétuer un entre-soi encore peu médiatisé. Elles sont également peu mises en valeur par une ville dont l’attractivité touristique repose avant tout sur le centre Nausicaa « Conservatoire de la biodiversité océanique » où la diversité et la variété des espèces aquatiques ne dit rien des communautés locales. La mémoire de Dunkerque quant à elle, orchestrée par la ville qui organise le Carnaval, semble avoir tout bonnement oublié la pêche – notamment la pêche à la morue pratiquée au XIXe siècle- au profit des corsaires (Jean Bart) et de fêtes largement publicisées.
À Boulogne donc, des fêtes relativement modestes, peu patrimonialisées et un patrimoine immatériel maritime largement doté d’invisibilité ; à Dunkerque au contraire un carnaval médiatisé qui attire un public nombreux venu de l’extérieur (des dizaines de milliers de « carnavaleux »). Comment rendre compte de ces situations contrastées ? Quelles mémoires véhiculent ces manifestations festives et quels en sont les porteurs ? Quels sont les enjeux politiques et économiques de telles patrimonialisations et quels en sont les acteurs ? C’est à cet ensemble de questions que tente de répondre le présent projet qui, à partir d’enquêtes ethnographiques et de dépouillement d’archives, se centrera plus particulièrement sur trois objets relatifs aux patrimoines maritimes et portuaires des deux villes.
Les chansons de carnaval. Sur les côtes de la mer du Nord, le carnaval était l’occasion majeure de chanter des chansons, élaborées toute l’année par les sociétés chantantes qui réunissaient des hommes du peuple, et de vendre les petits formats portant les paroles de ces chansons (en patois). Ces corpus apportent des témoignages uniques de la culture populaire locale. Nous nous proposons de travailler sur les chansons des deux villes choisies de façon comparative, pour comprendre les mémoires et les évolutions dont elles témoignent.
Les pratiques festives et carnavalesques, abordées comme des « faits sociaux totaux », examinées, pensées et observées dans leur dimension esthétique et artistique, économique, politique et sociale. Nous interrogerons les tensions entre les traditions festives et la fête touristique comme facteur de développement territorial. Les fêtes sont aujourd’hui cataloguées dans des parcours touristiques, elles deviennent une étape obligatoire du circuit grâce à leur caractère participatif. Expériences communes et partagées et « mises en fiction du monde » (Augé, 1997), de nouveaux types de manifestions festives ou de nouvelles esthétiques soulignent la dynamique des traditions et leur réinvention permanente.
Les communautés patrimoniales : cliques, bandes, associations, familles, élus locaux, universités, marins-pêcheurs, commerçants, industriels peuvent à des degrés divers concourir à la patrimonialisation des activités maritimes et aux manifestations festives qui en sont la traduction. On s’attachera ici à comprendre les profils des acteurs ainsi que les relations qu’ils entretiennent entre eux dans la perspective ouverte par la convention sur le PCI de l’UNESCO qui valorise désormais les « communautés, groupes ou individus » porteurs d’un patrimoine censé émerger « d’en bas » et à cerner la diversité des communautés patrimoniales à partir des deux cas étudiés.
Récusant la notion d’authenticité (Lenclud, Hobsbawn) – toujours tentante pour opposer un carnaval fortement institutionnalisé à des fêtes qui le sont peu – cette recherche entend se centrer sur la genèse, les formes et les fonctions des processus de patrimonialisation (ou de non-patrimonialisation) étudiés et à en comprendre les multiples enjeux : économiques, symboliques et politiques. Elle s’appuiera sur les acquis des nombreux travaux menés sur le patrimoine et notamment sur le PCI - plus précisément sur trois ensembles de recherches :
Les critical heritage studies1, pour lesquelles le patrimoine est résolument analysé comme une construction, à même de transformer la valeur de biens dont l’usage change. Quelles sont les conditions qui en rendent possibles le développement et la matérialisation ? Des travaux récents sur les patrimoines populaires ont évoqué ceux-ci en termes de traces souvent évanescentes par opposition à des patrimoines plus prestigieux. C’est dans cette perspective que l’on interrogera la visibilité ou l’invisibilité des fêtes étudiées, leur degré de patrimonialisation et leur attractivité à l’aune des statuts symboliques et sociaux de ceux qui en sont porteurs.
Les travaux en ethnoscénologie sur le Carnaval et la fête.
Des travaux d’historiens, littéraires et musicologues sur les patrimoines des musiques populaires et la chanson comme mémoire des vies ouvrières
Notre méthodologie est pluridisciplinaire articulant ethnographie, histoire et analyse de documents et d’archives. Elle s’adosse à une pratique ethnographique multisite à partir de l’étude de productions artistiques et sociales dont il s’agira d’analyser, l’émergence, les activités, les parcours, tout autant que les réseaux d’acteurs et les discours. Il s’agira de circonscrire un objet de recherche qui peut parfois paraître insaisissable (son caractère vivant) et qui est sans cesse renouvelé (le côté éphémère de la représentation ou de la performance), même dans un cadre codifié. Cela permettra de saisir dans leur spécificité anthropologique et historique des pratiques festives et musicales et de contribuer à l’intelligibilité d’un genre ou d’une forme à partir de l’observation des pratiques et des discours qui le concernent. Des recherches sur les sources primaires seront menées notamment pour constituer un corpus de chansons urbaines d’actualités avec analyse de leur mise en musique, diffusion, conservation, réédition, enregistrement. Une analyse du contenu sémantique, de la structure et de l'instrumentation sera effectuée, complément d'un travail sur les usages (chansons sur timbre/reprise d’airs signifiants), leur transmission et leurs métamorphoses, les reprises et usages actuels. L'analyse de la production, de la réception et des usages mémoriels actuels ouvrira une réflexion sur la place du local. En aval, on s’intéressera à la réception de ces récits par le public au moyen, si possible, d’études de réception.
Nous aurons également recours à l’anthropologie visuelle avec la production de photographies et films ethnographiques des fêtes observées.
Bibliographie :
Fêtes, mascarades, carnavals. Circulations, transformations et contemporanéité, (dir. Nathalie Gauthard), Ed. L’Entretemps, coll. Les anthropopages, 2014.
Actes du colloque international Méthodologie(s) de la recherche sur les pratiques festives et carnavalesques qui a eu lieu en avril 2019 au Centre Français du Patrimoine Culturel Immatériel à Vitré, à paraître sous le titre : Enquêter en Carnaval. Méthodologies créatives autour d’un plaisir partagé (dir. N. Gauthard, B. Mauffret, M. Salzbrunn).
« Dragons, géants et autres merveilles : dynamiser la mémoire patrimoniale en arts vivants, pistes et réflexions. (dir. N. Gauthard), Revue L’Ethnographie. Créations, Pratiques, Publics – Nouvelle formule en ligne (MSH PN USR 3258 – ISSN 2534-5893), oct. 2022.
Sur les géants : Jean-Pierre Ducastel, « Les géants du Nord de la France », Le patrimoine du département du Nord – Commission historique du Nord, Bulletin Tome 59, 2020, Histoire/archéologie, Lille, Archives départementales du Nord, 2020, p. 283-324.
La Poésie délivrée, dir. Stéphane Hirschi, Corinne Legoy, Serge Linarès, Alexandra Saemmer et Alain Vaillant, Presses universitaires de Paris-Nanterre, 2017.
Étudier, interpréter, valoriser les chansons anciennes, Sophie-Anne Leterrier dir., ouvrage réalisé par l’OPCI, Paris, L’Harmattan, 2019.
Patrimoines et patrimonialisation, les inventions du capital historique (XIXe-XXIe siècles), Anne-Claude-Ambroise-Rendu et Stéphane Olivesi dir., Grenoble, PUG, 2021.
Sur le patrimoine des dockers de Dunkerque : Tiphaine Barthelemy, « La patrimonialisation ou la vie. Une enquête auprès des dockers en 1989 », in Tiphaine Barthelemy, Philippe Combessie, Laurent-Sébastien Fournier et Anne Monjaret (dir.) : Ethnographies plurielles. Déclinaison selon les disciplines, Paris, ed. du CTHS, 2015 : 211-230.
Notre réponse à l'appel à projet Stimule :
TITRE DU PROJET : Entre savants et populaires : les patrimoines invisibles des Hauts de France – Créations, réappropriations, synergies.
- LE RESUME DU PROJET
2. Etat de l’art
Riches en monuments historiques connus et visités - cathédrales, beffrois, musées - les territoires des Hauts-de-France recèlent aussi des patrimoines matériels et immatériels qui peinent à faire valoir leur légitimité. Le patrimoine mémoriel des deux dernières guerres mondiales a certes été une priorité des politiques locales et nationales, qui s’est concrétisée lors des célébrations du centenaire de la Grande Guerre, mais d’autres lieux et objets chargés de mémoire semblent voués à l’oubli. Dans cette région récemment désindustrialisée, d’anciennes usines, des cités ouvrières, des bâtis ruraux par exemple sont laissés à l’abandon, au grand dam d’associations qui tentent de les « sauver » tandis que des savoir-faire, des gestes, des jeux ou des pratiques se perpétuent tant bien que mal dans un environnement d’indifférence - quand ils ne sont pas tout bonnement perçus comme des symboles d’un passé de misère et d’arriération. C’est ce patrimoine invisible, car non advenu ou peu reconnu, qui est au cœur de ce projet. À partir d’une enquête ethnographique et archivistique, il s’agit d’une part d’en mettre à jour certains éléments et leurs évolutions récentes (de l’oubli à la réinvention) et d’autre part de comprendre les raisons d’une invisibilité qui peuvent tenir tant aux détenteurs d’objets et de pratiques qu’ils ne souhaitent pas patrimonialiser qu’à une absence de consensus sur ce qui serait digne de l’être ainsi à de multiples autres facteurs qu’il conviendra d’explorer.
Cette question de l’invisibilité, qui se pose particulièrement dans le cas du patrimoine culturel immatériel (PCI), semble spécifique des Hauts-de-France par rapport à l’ensemble du territoire national1 — voire d’autres pays européens, caractérisés par ce que Daniel Fabre qualifiait de « tournant patrimonial » (Fabre, 2013 ; Hottin et Voisenat 2016). Il entendait par là tout autant la transformation d’une expertise désormais dévolue aux «communautés patrimoniales » plus qu’aux institutions de l’État que la requalification en patrimoine d’objets et pratiques culturelles naguère entachées d’illégitimité au regard de la culture savante. Il constatait le développement du goût pour une histoire et un patrimoine «à soi" (Bensa et Fabre 2001), valorisant les émotions, l’expérience personnelle et les ancrages locaux plus que les personnages illustres, les cathédrales et autres marqueurs d’un « génie » national. Or, si ces évolutions caractérisent bien certaines régions, comme la Bretagne ou le Sud-Ouest, où l’émergence du PCI est surtout le fait de nouvelles communautés patrimoniales (Adell-Gombert 2008, Léonard 2019), tel ne semble pas être le cas du nord de la France où le Monument continue de prévaloir sur toute autre forme de patrimoine et où, si l’on observe, comme ailleurs, une croissance exponentielle des associations patrimoniales (Glevarec et Saez, 2002 ; Istasse, 2017), celles-ci restent généralement peu entendues — voire parfois suspectes aux yeux de certains professionnels du patrimoine (Barthelemy et Istasse, à paraître). Le PCI est sans doute reconnu dans le cas de quelques fêtes et carnavals souvent médiatisés, mais, à côté d’eux, d’autres manifestations se perpétuent à l’abri des regards, au sein de communautés locales où se transmettent aussi un riche patrimoine de chansons et d’histoires que la modernité semble vouer à un oubli certain.
III- LE CONTENU DU PROJET
1. Les verrous scientifiques
On peut dès lors s’interroger sur les inflexions et les formes prises par ce « tournant patrimonial » sur les différents territoires qui composent la région : comment cohabitent ou s’opposent par exemple, cathédrales et mémoires ouvrières, savoir-faire artisanaux et musées d’histoire, fête du Hareng et Carnaval reconnu, professionnels du patrimoine et militants associatifs ? Est-il des patrimoines potentiels qui ne font pas consensus, des communautés minoritaires qui ne parviendraient pas à faire entendre leur voix, des choix politiques en faveur de certaines catégories de patrimoine ? L’une des hypothèses que nous chercherons à tester ici pour rendre compte de la difficile émergence des nouveaux patrimoines — et notamment du PCI — dans les Hauts-de-France est celle de la persistance d’oppositions entre cultures savantes et populaires (Muchembled, 1978 ; Ginsburg 1980), légitimes ou illégitimes (Bourdieu 1979), hégémoniques et subalternes (Gramsci, 1996); oppositions qui, après avoir nourri les sciences sociales dans les années 1970/80 (Grignon et Passeron, 1989 ; Hoggart, 1970 ; Revel, 1986), semblent révolues aujourd’hui, du fait notamment de l’individuation des sociétés contemporaines et de l’éclectisme, désormais légitime, des pratiques et des goûts culturels (Lahire, 2004). Mais n’est-il pas des lieux où les deux termes de l’opposition restent bien établis et renvoient à des hiérarchies solidement instituées ? Est-il fortuit que ces lieux correspondent précisément à des territoires précocement intégrés à l’État-nation1, dont l’identité locale n’a guère pu se développer indépendamment de celle de l’État central ?
Autant de questions qui incitent à porter attention à l’émergence de nouveaux objets (matériels et immatériels) et de nouveaux acteurs dans le champ du patrimoine. Il ne s’agit pas en effet de considérer celui-ci comme un objet donné d’avance, qui se serait transmis inchangé de génération en génération, mais comme une construction, une création parfois, une réappropriation d’objets et de pratiques auxquels sont conférés des valeurs et des usages nouveaux. Ainsi, certaines patrimonialisations « enrichissent » les territoires et concourent à leur développement par des labellisations au principe de leur attractivité touristique (Boltanski et Esquerré, 2017). Elles invitent à mettre l’accent sur la dimension créative des « fabriques » du patrimoine, et interrogent leurs composantes mémorielle et identitaire. En travaillant sur les transmissions et les réinventions, ce projet cherchera à comprendre comment le rapport au patrimoine épouse le présent pour réorienter et réinterpréter le passé, notamment l’histoire locale.
Le projet s'intéressera spécifiquement aux réappropriations individuelles et collectives du passé, aux nouvelles manières d’incorporer le patrimoine dans des techniques du corps, de la voix, de la mémoire, qui articulent étroitement le sensible à l’intelligible. Outre qu’elles permettent l’identification de nouveaux corpus (de chansons, de festivals, de figures héroïques, de personnages messianiques, de sites), elles constituent aussi un instrument puissant d’expansion et de promotion des territoires et, à ce titre, ne sont pas dénuées d’enjeux politiques. C’est cet écheveau de modes d’expression, d’acteurs, d’imaginaires… et d’intérêts qu’il s’agira de démêler ici, pour comprendre la manière dont ils se rattachent à des localités au point d’en constituer l’emblème. Il est d’autant plus intéressant de mener cette recherche à l’échelle des Hauts-de-France que la région a été plutôt négligée par les enquêtes patrimoniales, et cela de longue date.
Ces constats, ces questions et ces hypothèses serviront de toile de fond à un projet qui propose de s’interroger concrètement sur les processus de patrimonialisation dans les Hauts-de-France, sur leur différent degré d’aboutissement — ou non-aboutissement — à partir de trois types de patrimoines souvent liés les uns aux autres : le patrimoine industriel, les chansons et les manifestations festives.
A) Le patrimoine industriel :
La Région des Hauts-de-France a été pendant plus d'un siècle un moteur de l'économie française, et a su rayonner dans l'Europe entière grâce à une industrie très forte : l'extraction minière dans le Bassin du Pas-de-Calais (62), l'industrie sidérurgique dans la vallée de la Bresle (80) comme à Fourmies (59), le textile à Roubaix (laine) et à Calais (dentelle), mais aussi dans la Somme, l'exploitation sucrière et la verrerie dans l'Aisne (02). Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, cette industrie a périclité, entraînant la multiplication des friches industrielles et suscitant de graves problèmes de chômage et de reconversion. Quelle que soit la détermination de certaines associations, souvent d'anciens travailleurs, la valorisation de cet héritage se heurte à la fois à des problèmes juridiques (les sites et les bâtiments sont souvent la propriété d'entreprises privées), à des choix économiques et politiques, à des questions d'images (Tornatore, 2004). Lorsque cet héritage est conservé, c'est souvent le bâti seul qui est sauvé et mis en valeur à l'occasion d'une reconversion. C'est le cas pour la sucrerie de Francières (60), créée en 1829 et fermée en 1969, menacée de destruction, inscrite aux Monuments historiques en 1999, devenue en 2012 un centre d’interprétation dédié à l’industrie sucrière. L’étude de trois anciens sites industriels est plus spécifiquement envisagée dans le cadre de ce travail :
Le 9-9bis à Oignies, qui juxtapose pour sa part lieu patrimonial, salle de spectacle et lieux de production artistique. La mémoire orale et les archives (imprimées et photographiques) des ouvriers sont quant à elles peu valorisée, en dépit du souhait de certaines associations, dont la détermination a contribué pourtant à sauver le site. Les acteurs de la patrimonialisation oscillent entre la volonté de faire vivre la mémoire de modes de vie et de pratiques anciennes et celle de « tourner la page », de « passer à autre chose ». Une recherche participative pourrait être envisagée avec l'association Acccusto Seci (Association pour la création d’un centre scientifique et technique d’Oignies sur les sécurités industrielles) qui s’est mobilisée à la fermeture du site jusqu’à ce qu'il soit protégé, grâce à son classement aux Monuments historiques en 1992 puis en 1994.
Le site de Saint Gobain, dans l’Aisne, berceau historique de l’entreprise du même nom, dont l’usine a fermé en 1996. Y subsistent aujourd’hui de petites entreprises locales à côté d’un grand nombre d’associations qui valorisent toutefois plus les bâtiments de la Manufacture Royale (inscrits au MH en 1995), l’histoire médiévale ou la reconstitution historique que les productions ouvrières, pourtant visibles dans nombre de maisons et de jardins des environs.
La base 11/19 de Loos-en-Gohelle avec l’implantation et les activités de Culture Commune, labellisée Scène nationale pour le bassin minier. Culture Commune fonde son activité sur la création scénique et le décloisonnement des pratiques artistiques en direction de la population locale, spécialisée dans une approche sociale et patrimoniale du développement culturel, également outil régional pour un accès à la culture pour tous. Une de ses missions est de faire vivre la mémoire ouvrière via des activités en destination des populations locales.
A travers ces exemples, on s’intéressera au patrimoine industriel, non pas tant sous l’angle de la reconversion des bâtiments que sur les formes de mémoire et de valorisation alternatives, souvent développées dans un cadre associatif local.
B) Pratiques festives, géants et processions carnavalesques
Les fêtes locales et leur inégale médiatisation offrent une entrée privilégiée sur les thématiques que nous explorons. Le cas du carnaval de Dunkerque est un exemple de prise en charge par les institutions publiques d'une manifestation historiquement populaire, et qui le reste d'ailleurs. À l'opposé, dans certaines villes comme Boulogne, nombre de fêtes anciennes peinent à attirer au-delà des communautés locales. Ces processus incitent à regarder de plus près ce qui se joue dans les modalités de valorisation de patrimoines culturels immatériels liés aux métiers et aux pratiques populaires. Les fêtes telles qu’elles seront abordées dans cette recherche sont considérées comme des « faits sociaux totaux ». Elles seront examinées, pensées et observées dans leur dimension esthétique et artistique, économique, politique et sociale afin de renouveler la pensée sur des questions d’esthétique et de savoir-faire, sur la circulation des formes artistiques - tant géographiques que symboliques - et sur les processus de construction patrimoniale contemporaine. La fête, dans sa dimension marchande et produit d’une consommation de masse a toujours généré une économie non négligeable. Après avoir été répertoriée sur des listes locales, nationales ou internationales comme « patrimoine culturel immatériel », elle est aujourd’hui cataloguée dans des parcours touristiques, étape obligatoire du circuit réussi grâce à son caractère participatif. La fête est une pratique, une expérience commune et partagée même s’il s’agit parfois d’« une mise en fiction du monde ( Augé 1997). Des formes créatives et un souffle de renouveau ont fait éclore de nouveaux types de manifestations festives ainsi que de nouvelles esthétiques soulignant ainsi la perspective dynamique des traditions et leur invention permanente.
Trois terrains ont ici été identifiés qui concernent les patrimoines maritimes avec une étude comparée de la fête du hareng à Boulogne et Calais et des fêtes de pêcheurs à Dunkerque (dont fait partie le Carnaval). La fête de la Sainte-Barbe à Culture Commune peut également faire l’objet d’une enquête ethnographique.
C- L'usage des chansons
En ce qui concerne le patrimoine des chansons, la distinction des objets et des acteurs reste très prégnante. Sur le site du Hall de la chanson, par exemple, on entend par « chanson » essentiellement les créations d'auteurs-compositeurs-interprètes, faisant l'objet d'enregistrements, en langue française, depuis les années 1950. Il n'y est question de chansons en langues régionales que de façon très subsidiaire, dans l'une des « ressources » mises à disposition sur le site institutionnel, intitulée « Langues de France en chansons ». Il en va de même des recherches développées par Stéphane Hirschi (2008 ; 2016) et par ses collègues dans le cadre de la « cantologie ».
Alors qu'en Occitanie ou en Bretagne ces répertoires ont été largement collectés, transcrits, enregistrés, recréés, ce n'est pas le cas dans les Hauts-de-France, ce qui résulte à la fois du statut des langues locales et d'évolutions sociologiques et culturelles, qu'il ne peut être question de détailler ici. Prises en tenaille entre les chansons « traditionnelles » et les chansons « artistiques », les chansons populaires qui naissaient dans les estaminets et chroniquaient la vie locale sont méconnues, oubliées. Il y a tout un travail à faire pour les retrouver, et plus encore pour les faire vivre, ce qui suppose de les interpréter, de les enregistrer, de les diffuser.
Notre projet s'intéresse particulièrement aux chansons nées dans la région au XIXe et au XXe siècle, qui portent la mémoire de communautés, de pratiques sociales, et à leurs métamorphoses. La grande majorité de ces chansons ne vivent que quelques saisons, mais certaines ont été recueillies dans des collections, privées ou publiques (dans les médiathèques, les centres d'archives). Quelques-unes sont transmises et encore chantées : lesquelles, pourquoi, comment ? Quelle part joue la transmission orale dans la famille, dans la communauté, à l'école ? Que signifient aujourd'hui ces chansons pour ceux qui les connaissent, qui les interprètent ? Dans quelle mesure font-elles partie de leur patrimoine ? C'est cela qu'il s'agit d'explorer, à partir de nos objets et de nos terrains de recherche, en constituant de petits corpus ad hoc.
IV- VALORISATION ET PROMOTION DU PROJET
Les actions envisagées pour valoriser les résultats concernent au premier chef la communauté scientifique, mais aussi les structures et les habitants avec lesquels nous serons amenés à travailler et qui contribueront au recueil des données.
Les principales sont :
Restitution par le biais de trois journées d’études participatives avec supports audiovisuels (photographies + films ethnographiques réalisés sur place), au fil du projet.
La première aura lieu à Fourmies les 24 novembre 2023.
Organisation d’une exposition audiovisuelle : photographies et films ethnographiques sur les fêtes sélectionnées.
Constitution d’une base de données collaborative (chansons)
L'organisation d’un colloque international sur les patrimoines invisibles (avec une exposition de photos)
La rédaction de deux articles collectifs (L’Ethnographie et Ethnologie française).
- LE RESUME DU PROJET
Porté par le laboratoire Textes et Cultures, UR4028, en partenariat avec le CREHS de l’université d’Artois et le CURAPP-ESS de l’université de Picardie Jules Verne, ce projet vise à étudier le patrimoine invisible des Hauts-de-France à partir d’études de cas. Il s’intéressera tout particulièrement à des lieux marqués par la désindustrialisation, dont la patrimonialisation n’est pas encore ou incomplètement advenue ainsi qu’au patrimoine culturel immatériel (PCI), qui compte encore peu d’éléments dans une région pourtant riche de savoir-faire, de gestes et de pratiques chargés de mémoire, mais qui semblent voués à l’oubli, en dehors de cercles associatifs ou de groupes informels. Deux séries d’éléments seront à cet égard objets d’une enquête ethnographique articulant dépouillement d’archives et observations de terrain : les chansons locales, dont l’abondant répertoire est très mal connu ainsi que les fêtes, géants et Carnaval, dont certains sont l’objet d’une revitalisation récente, tandis que d’autres se perpétuent dans un entre-soi local et restent ignorées du grand public. Outre l’établissement de bases de données, ce travail s’attachera à comprendre les raisons de l’invisibilité de certains patrimoines et plus encore la manière dont ils pourraient contribuer à la mise en valeur des territoires de la région.